« Véloreporter, j’explore les richesses de nos territoires en transition à bord d’un vélo solaire autonome en énergie ». Jérôme Zindy est animateur et réalisateur spécialisé sur l’environnement. Ses rencontres et ses aventures sont toutes filmées à vélo. Il vient d’achever 1 550 km à travers les 9 Parcs naturels régionaux de la Région Sud pour documenter en vidéo des solutions face au changement climatique. Prise de conscience, engagement, vélotaf, Mai à vélo et bien sûr stationnement, Jérôme nous offre un moment précieux de partage. Focus sur un homme engagé qui passe par l’action et la pédagogie pour bousculer les mentalités et développer notre conscience écologique et collective.
Parle-moi un peu de toi et de ton « basculement » écosensible…
A l’époque, j’ai fait une école de commerce pour cocher les cases du système, celui dans lequel j’ai été éduqué et quelque part programmé. Pendant 10 ans, j’ai travaillé dans l’univers du sport automobile, et plus particulièrement dans le rallye-raid. J’étais « sur des rails » et reconnu dans ce que je faisais. Je gagnais très bien ma vie dans ce secteur, et j’avais cumulé tous les « symboles de la réussite » : SUV, belle maison, moto, du matériel, beaucoup de matériel même. Mais plus ma conscience environnementale s’éveillait, plus j’hurlais au fond de moi, jusqu’au jour où j’ai décidé de tout remettre à plat.
Ce qui m’attirait avant tout dans le monde du rallye, c’était d’abord la nature, le fait d’aller dans le désert et de vivre l’aventure. Sauf que, pour profiter de cette nature, je l’abîmais insidieusement en prenant avions, 4×4 et hélicoptères. Rien n’était donc possible sans pétrole et sans émission de CO2. A l’heure du changement climatique ; autant d’énergie et de ressources déployées pour le plaisir de quelques-uns : pour moi, ce modèle n’avait plus de sens.
Mon basculement « d’un monde à l’autre » a été très brutal. En 2019, je pars me « mettre au vert » pour un trek de plusieurs jours en Auvergne. Sur place, le changement climatique n’est plus un concept théorique, il est bien là. Le monde agricole subit la sécheresse, je rencontre des éleveurs obligés de vendre une partie de leur bétail faute d’herbes. Dans les villages, j’ai été profondément choqué de voir des camions citernes alimenter les communes en eau potable.
À cet instant, tout s’est effondré et j’ai décidé de ne plus contribuer au système tel qu’on le connaît. Je suis passé par une grosse remise en question et six mois d’éco-anxiété absolue. En janvier 2020, je quitte mes fonctions dans le rallye raid. Je vends ma moto, mon SUV et je quitte ma maison sur-dimensionnée. Je souhaite « réapprendre », me « reprogrammer », me détourner de « l’avoir » pour me centrer sur « l’être » et me rendre utile différemment, au service du collectif, de la transition écologique et sociétale.
Je décide alors de réinventer mon métier. Que sais-je faire ? Je sais communiquer et réaliser des vidéos. J’ai travaillé avec des caméramans, des journalistes, des producteurs. Je me suis donc acheté une caméra et j’ai commencé à faire mes premiers films à vélo.
Quel a été ton premier projet ?
« 100 km autour d’Avignon » que j’ai réalisé en juillet 2020. Le confinement m’a conforté dans mes envies et intuitions. Les codes de la société nous conditionnent pour « consommer » le voyage. Je décide de prendre le contrepied et de me fixer un rayon de 100 km autour de chez moi dans lequel évoluer, ce qui correspond aussi à la définition du circuit court, de la consommation dite « locale ». Pour voyager moins vite et sans émissions de co2, je découvre le VAE. Il me permet également de transporter mon matériel vidéo. Je me mets au vélo car clairement je n’en faisais pas. Avant, j’étais dans mon SUV… mais c’était avant ! J’ai l’idée de rendre ce vélo autonome. En cherchant, je me rends compte qu’il existe des gens qui le font déjà. Je me rapproche donc d’un préparateur : Declic Eco à qui je parle de mon projet et qui me soutient. Il me propose ce vélo solaire extraordinaire, c’est une révélation. Avec du soleil, je peux me déplacer en totale autonomie énergétique. C’est une nouvelle façon d’explorer sans impacter.
J’ai ainsi réalisé mon premier vélo-reportage itinérant à 100 km autour d’Avignon en co-réalisant une web-série avec un ami, Bertrand Charron, lui aussi à vélo électrique.
Sans financeurs, nous nous lançons dans cette aventure qui a été l’une des plus belles de ma vie, en étant pourtant toujours à maximum 100 km de chez moi ! Mon intuition était la bonne. C’est aussi parce que je cherche à mettre du sens dans mon voyage, à voyager en étant utile et en m’intéressant au territoire. Je ne me contente plus de traverser les territoires pour mon simple plaisir. Enrichi de rencontres inspirantes, ce sont les territoires qui me traversent.
Quels sont tes prochains projets ?
Le vélo, qui était d’abord pour moi un outil, est devenu une véritable philosophie de vie. Je pratique le vélo musculaire ou électrique selon les besoins. J’aime à dire que le vélo électrique permet au plus grand nombre de se mettre au vélo. C’est très important. Il y aura toujours des puristes du cycle qui te diront que tu n’es pas à vélo quand tu es en électrique. Sauf que, se déplacer en deux-roues avec 25 kilos de matériel, faire des interviews, faire des images, s’arrêter et sortir le drone, ce n’est pas pareil que faire une sortie vélo juste pour rouler. Pour moi, la bicyclette est devenu un outil, qui me permet de faire mon métier de réalisateur vidéo avec un faible impact carbone. C’est ainsi que j’ai inventé ce terme de vélo-reporter. En plus de me déplacer à vélo, je fais aussi du sport à vélo, je voyage à vélo, je développe le vélo. Il est partout dans ma vie !
L’événement phare de ce printemps est le mouvement national « Mai à vélo », pour lequel je vais couvrir une trentaine d’événements dans toute la France, uniquement en train et à bicyclette. « Mai à vélo » est porté par le Ministère de la Transition Écologique, la FUB, l’APIC, etc. Il y a eu 3 000 initiatives l’année dernière, sûrement le double cette année.
Le mois de mai est justement le mois idéal pour que les gens se mettent au deux-roues. Il y a beaucoup de challenges organisés par les territoires et dans les entreprises. D’ailleurs, en attendant de prendre le départ de ce nouveau vélo-reportage, je m’investis aux côtés de l’agglomération Mulhousienne pour développer le Challenge vélo m2A : c’est un excellent outil pour aider les gens à franchir le pas et à délaisser leur voiture pour la petite reine. Mon objectif est de doubler le nombre d’entreprises du territoire participantes.
Tu organises des ateliers du Challenge vélo m2A ?
Oui tout à fait ! J’ai organisé le premier atelier du Challenge vélo m2A en février 2023. L’objectif est que chaque entreprise qui participe à ce challenge puisse avoir un référent. Celui-ci a pour mission de mobiliser ses collègues, de les motiver, les accompagner et les conseiller. Le référent est un motivateur interne. Le but est de rassembler ces référents, de les fédérer afin qu’ils se partagent les bonnes techniques d’animation interne. Sur ce Challenge, nous avons actuellement 50 entreprises participantes. Mon objectif est qu’il y en ait 100 pour le top départ le 2 mai prochain. Je démarche les entreprises, je fais le « vélo-VRP » ! En parallèle, je véhicule la culture vélo et réalise aussi des portraits de vélotafeurs. J’accompagne aussi l’agglomération Mulhousienne sur l’organisation d’une fête du vélo à l’échelle de toute l’agglomération : c’est essentiel de rendre le cycle toujours plus visible, qu’il prenne toute la place qu’il mérite.
Comment ressens-tu les premiers contacts avec les entreprises ?
Pour le moment, le Challenge vélo m2A est très bien accueilli par les entreprises. Tout le monde a conscience qu’il faut changer de modèle. Je sens en face de moi des gens qui sont très réceptifs. J’adapte mes arguments en fonction de mes interlocuteurs. L’argument de la RSE revient souvent, de la santé, mais également la motivation interne et l’argument du plan de mobilité pour les entreprises d’une certaine taille.
Les entreprises sont souvent dans des contextes tendus et les budgets sont serrés. Le Challenge ne coûte rien à l’entreprise et il est fédérateur. Nous avons beaucoup d’entreprises dans ce secteur, de belles infrastructures cyclables mais encore trop peu de cyclistes. Pourtant, à 100 km d’ici, il y a Strasbourg, un modèle exemplaire en termes de culture vélo, et Fribourg en Allemagne, dans le top 5 des villes cyclables Allemandes.
L’agglomération Mulhousienne représente plus de 280 000 habitants, avec 39 communes. Le territoire se traverse d’un bout à l’autre en 45’ maximum en VAE. Le potentiel de « création de nouveaux vélotaffeurs » est donc énorme.
Le mouvement est déjà en marche : par rapport à il y a 5 ans en arrière, nous constatons davantage de bicyclettes, les associations qui se battent depuis des années et qui font un travail formidable commencent à y croire à nouveau. Ce challenge est l’un des outils de ce mouvement de transformation.
Comment augmenter la part modale du vélo ? Les freins à lever ?
La sécurité en premier lieu. Les gens préfèrent rouler sur des voies cyclables plutôt que sur la chaussée en lien direct avec les voitures. Et ça se comprend. Il faut plus d’aménagements cyclables sécurisés et lisibles. Il faut aussi de quoi sécuriser son deux-roues.
J’ai un vélo pliable que je peux garder avec moi lorsque je vais en rendez-vous. Mais effectivement, quand je prends mon Gravel, c’est un souci. Où puis je le stationner sans m’inquiéter ? Le stationnement est un frein très important à lever. Personne n’a envie de se faire voler son vélo. Les nouveaux vélotafeurs investissent dans des vélos coûteux, comme des vélos « Moustache » fabriqués dans les Vosges, ou des vélos cargos.
Avec un cycle à 5 000 euros, impossible de le laisser en insécurité de stationnement. La sécurité du vélo est donc tout aussi indispensable.
Le 3ème frein est la pédagogie. Aujourd’hui, il perdure encore des blocages psychologiques notamment sur les intempéries. Il fait froid, il fait chaud, comment vais-je arriver en réunion sans être ébouriffé ou transpirant ? Il existe bien évidemment des solutions qui s’apprennent. C’est tout cela, la culture vélo.
Je constate un frein encore plus fort que tous les précédents : c’est l’imaginaire ! J’ai moi-même été dans cet imaginaire. Mon père a travaillé dans l’industrie, il été sous-traitant chez d’un constructeur automobile implanté dans la région. La culture de la voiture y est très forte.
Il a connu une époque où le progrès était une aventure formidable. J’ai grandi dans ce contexte (visites d’usine, visionnage du Paris-Dakar, salon de l’automobile à Genève, quand j’avais une bonne note à l’école mes parents m’offraient une petite voiture). Tout cela m’a bien sûr conditionné, et ce n’est pas un hasard si j’ai travaillé dans le sport automobile.
Quel est par exemple le poids des films et des séries dans l’imaginaire collectif ? Il est rare de voir une série ou le héros est un cycliste non ?
L’exemplarité est essentielle et attendue de toutes et tous : j’espère qu’un jour le Président de la République se rendra à l’Élysée sur un vélo, que M’Bappé ou d’autres iront à l’entrainement en pédalant.
Quand nous en serons là, nous serons de plus en plus nombreux sur les vélos ! Il s’agit de recréer un imaginaire. Celui d’être fier de soi quand on a fait un trajet à bicyclette plutôt qu’en voiture, de se rendre compte qu’il est inutile et dépassé de déplacer un véhicule d’1,2 tonne pour transporter une personne de 80 kg.
Pour moi c’est le cas aujourd’hui : je me passe de voiture, et chaque trajet réalisé à vélo, en train ou en transport en commun est une fierté. C’est même devenu un jeu.
Les mentalités évoluent et les changements s’accélèrent. Évidemment, l’argent joue un rôle indéniable : quand le diesel sera à 5 euros nous n’aurons pas d’autres choix que de nous y adapter. D’ailleurs, tout le monde sait qu’Amsterdam est la ville du vélo. Peu de gens savent pourquoi : c’est justement suite au premier choc pétrolier que tout le monde s’est mis au deux-roues !
Je ne veux surtout pas jeter la pierre et je reste prudent dans mes paroles car j’ai conscience que le cycle n’est pas la solution pour tout le monde. Comment fait-on pour toutes ces personnes qui habitent à 30 km de leur lieu de travail, loin de tout ? Pour eux, il faut développer des alternatives : transports en commun, autopartage, co-voiturage, micro-mobilité, etc. Pour moi, la transition ne doit laisser personne de côté. Au contraire, elle doit être autant écologique que sociale.
Quelques mots sur notre système de rangement ?
Votre solution est très intéressante, surtout pour les zones denses (immeubles, entreprises, etc.). J’apprécie aussi qu’elle soit fabriquée en France.
Les acteurs du cycle doivent être exemplaires et créer des emplois sur le territoire. Nous avons tous les savoir-faire pour développer une filière vélo en France. Bien sûr, tout doit être fait du point de vue économique pour que cela soit possible et pour que le Made In France ne soit pas détruit par la concurrence de pays où les normes sociales ne sont malheureusement pas les mêmes. J’ai beaucoup de respect pour tous ces entrepreneurs qui choisissent de fabriquer en France alors qu’ils auraient pu choisir de fabriquer à bas coûts au bout du monde.
L’idée de trouver des solutions sécurisantes pour garer son vélo est indispensable. Notre société urbaine en a besoin pour augmenter le nombre de stationnements vélo.
Votre solution est l’un des outils qui permet d’augmenter rapidement et facilement le nombre de place vélos, en utilisant l’existant.
Nous, citoyen, pouvons changer les choses à notre échelle. Nos décideurs doivent accompagner ce changement en nous permettant de s’engager concrètement dans cette transition. Nous avons toutes et tous un rôle à jouer.
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