Didier Tronchet est dessinateur et scénariste de bandes dessinées. Il s’est fait connaître avec Raymond Calbuth puis Jean-Claude Tergal. Diplômé de l’école supérieure de journalisme de Lille, il allie la double compétence de l’écriture et du dessin. Il se qualifie comme étant « un peu écriveur, un peu dessineur, un peu filmeur et un peu acteur ». Auteur de bandes-dessinées (textes et dessins), il a réalisé une cinquantaine d’albums parus chez six éditeurs (trois fois primés au salon d’Angoulême, 1990, 1993, 1998). Rencontre avec un artiste pluridisciplinaire et cycliste convaincu à l’occasion de la réédition de son petit chef d’œuvre qui n’est autre que le petit traité de vélosophie.
Quelle est votre histoire personnelle avec le vélo ?
Le vélo est un lien précieux et inaltérable avec l’enfance et une forme d’indépendance. Il évoque le moment où nous nous échappons un peu aux parents. Nous sommes en apesanteur. Le vélo représente une dimension précieuse de jeu et d’éveil. Il s’agit également d’un apprentissage vers l’âge adulte car le petit cycliste se sent comme un adulte sur un vélo. Ce bonheur initial m’habite encore et toujours lorsque je suis sur un vélo. J’ai l’impression qu’il s’agit d’un fil direct avec l’enfance. Dès que je monte sur un vélo, j’ai l’impression de retrouver le goût du jeu et de cette liberté que j’ai découverte étant enfant. Petit, je vivais dans le Pas-de-Calais, plutôt en campagne. Les conditions météorologiques étaient souvent difficiles car il s’agit d’une région un peu froide. Pour autant, j’allais chaque matin à l’école à vélo. J’en garde des souvenirs de froid et de difficultés. Une majorité d’enfant prenait le vélo pour aller à l’école. A l’époque, il y avait de grands garages à vélo. Nous parlons des années 60 et 70, une époque où il n’y avait pas encore trop de mobylettes. Par conséquent, le vélo était le moyen de locomotion le moins cher et donc le plus répandu. Le plus facile !
Quelle est la genèse de ce petit traité de vélosophie ? Un élément déclencheur pour son écriture et ses dessins ?
Je ne pouvais pas être seul à connaître ces aventures à vélo dans la ville. Pour moi, le vélo est un outil de déplacement extérieur mais surtout intérieur. Mon idée de départ était de partager ces émotions-là autour du vélo. Je croise tous les jours d’autres cyclistes. Nous sommes une petite communauté. Rien n’avait été fait sur le vélo urbain à l’époque où j’ai écrit ce livre. J’ai d’abord fait un livre qui porte le même nom et qui est sorti au début des années 2000. A cette époque, nous n’étions vraiment pas nombreux à prendre notre vélo sur la chaussée. Je me suis aperçu que j’avais pas mal de cyclistes amis qui ressentaient les mêmes émotions que moi. Ce fut un partage qui a grandi d’années en années. Aujourd’hui, le vélo et la culture vélo deviennent plus prégnants avec les vélibs, les développements des pistes cyclables et malheureusement le réchauffement climatique.
Comment vient et se nourrit votre inspiration ?
A Paris, je me déplaçais uniquement à vélo. Mon inspiration était donc nourrie quasi quotidiennement. Je prenais des notes. Je griffonnais des croquis. Cela donc été très facile pour moi d’être inspiré. J’étais même rempli d’intuition. Quand j’ai eu suffisamment de matière, c’est devenu un livre qui est sorti début 2000. Je me suis ensuite dit que ce serait drôle de sortir les aventures du cycliste en modèle BD.
La BD est fractionnée en 54 planches, avez-vous des planches « préférées » ?
Je pourrais citer « retour au présent », sur tous les problèmes qui peuvent nous préoccuper quand nous montons sur un vélo. A ce moment là, nous sommes encore un piéton alourdi avec toutes nos pensées. Le vélo va les dissiper progressivement. Je ne savais pas comment le mettre en scène et finalement j’ai illustré un cycliste qui s’allège de plus en plus. A la fin, sa pensée est transparente tout comme le décor qui est derrière. Cela s’est dissout dans l’espace. C’était une idée graphique qui m’allait bien ! Souvent, une image vaut mieux que 1 000 mots. J’ai souhaité que ce soit le plus ludique et léger possible. Sans gravité, avec surtout de la légèreté dans la construction. Un ressenti par l’image. Un défi.
Il faudrait selon vos propos « réinventer la ville à vélo », pensez-vous que nous sommes en retard en France à ce sujet ?
Nous ne sommes pas vraiment en retard. Bien entendu, certains pays sont nettement plus en avance comme la Hollande. Il y a quelques décennies, nous vivions dans une jungle pour cyclistes pour traverser Paris à vélo. J’ai eu la chance de voir depuis les années 90 à Paris une grande évolution. Le développement des pistes cyclables protégées avec des arbres fut un petit miracle ! Comme si nous étions devenus les sauveurs de la planète et qu’il fallait prendre soin de nous ! Auparavant, nous étions bannis voir même moqués par une partie de la population automobile. J’ai nettement constaté cette transformation. Nous sommes davantage respectés à présent et perçus comme des personnes qui font un effort pour la planète. Il y a aussi la conséquence de ce succès : les vélos ne respectent pas toujours leur environnement. Nous avons perdu un peu l’esprit vélo. Il faut garder cette complicité avec les autres partageurs de l’espace public. Il est important de remettre le respect au centre des valeurs du vélo, la civilité les uns pour les autres, le partage de la chaussée et se sentir en harmonie ensemble. Le vélo n’est pas du tout un moyen guerrier mais bien au contraire un moyen pacifiste.
Raymond dit « Nous ne sommes que de fragiles biscottes demi-sel dans le grille pain de la vie ».
Didier Tronchet
Sommes-nous trop nombreux ? Est-ce une éducation ? Comment trouver cet équilibre ?
Avec mes bandes dessinées, je montre de l’intérieur ce qui est bon avec le vélo. Pratiquer le vélo tel que je le conçois, en douceur et respect pour les autres. Bien entendu, nous ne pouvons pratiquer que par l’exemple. Je suis joyeux sur mon vélo, en étant courtois. C’est une question d’éducation.
Quels sont selon vous les freins à l’utilisation du vélo en ville ?
Ce sont des faux obstacles ! Il fait froid, ou il pleut mais au final il pleut assez rarement. Et si ça arrive une fois et bien ce n’est pas grave ! Il faut admettre la pluie comme quelque chose de bénéfique vu l’époque dans laquelle nous vivons. Pour ma part, je ne ressens pas de danger. Les automobilistes ont assez bien intégré le vélo dans leur environnement. Les vrais obstacles sont davantage le relief comme par exemple à Lyon monter jusqu’à la Croix Rousse, bon courage !
Est-ce que le stationnement et le vol de vélo peuvent être des freins justifiés ?
Il n’y a pas d’obstacles à pratiquer le vélo en ville, bien au contraire, je n’y vois que des avantages. Néanmoins, l’accessibilité de stationnement et les vols de vélos sont des éléments clés pour que les vélotaffeurs se sentent en sécurité de prendre leur vélo quotidiennement. Nous allons bien plus rapidement que n’importe quel autre mode de transport. Nous pouvons nous garer très vite. Les gens qui pratiquent le vélo en ville, ne peuvent plus revenir en arrière. Ils se sentent coincés et oppressés ensuite dans les transports en commun. Dans la voiture, ils se sentent enfermés voire même punis. Aujourd’hui, je suis devenu lyonnais et les pistes cyclables se développent de plus en plus, ce sont de belles perspectives pour l’avenir.
Des projets à venir ? Des albums de bandes dessinées et en lien avec le vélo : une série dans Fluide Glacial qui s’appelle les « catastrophobes » sur l’effondrement économique et écologique.
Propos recueillis par Soazig Courtois pour Feexti – Merci à Didier Tronchet pour le temps qu’il nous a accordé !
